Jeanne - La rebelle de Dieu - de Bénédicte Delmas aux éditions Fayard

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Jeanne - La rebelle de Dieu - ed Fayard - Nov 2024

Un livre de Bénédicte Delmas - ex-actrice, réalisatrice, et désormais romancière.

Dans ce premier roman, Bénédicte Delmas nous fait découvrir un éventail de personnages féminins forts, dans une France du 16ème siècle marquée par les guerres de religion.

Jeanne, la rebelle de Dieu est un roman historique librement inspirée de la vie de Jeanne de Lestonnac, la nièce de Montaigne, avant qu'elle n'entre dans les ordres. C’est la fondatrice de l'Ordre de la Compagnie de Marie Notre-Dame, premier Ordre religieux féminin approuvé par l'Église au service de l'éducation de la femme, encore présente partout dans le monde, l'un des premiers instituts d'éducation des filles, à l'heure où personne ne voulait les éduquer (si ce n'est à la maison, avec les moyens du bord). Elle a aussi ouvert la première école pour filles d'enseignement général, ce qui était vraiment révolutionnaire à l'époque. Elle a été canonisée en 1949.

Sur la quatrième de couverture on peut lire : 

Que reste-t-il comme modèle pour les femmes, mon oncle ? À quel idéal féminin peuvent-elles prétendre ? Vierge ? Religieuse ? Mère de famille ? Et si la moitié de l'humanité ne se retrouvait pas dans l'un de ces trois modèles ? 

1589. Au coeur des tumultueuses guerres de religions qui secouent la France, Jeanne de Lestonnac perd son mari, le baron de Landiras. Dès lors, son entourage la presse de se remarier et de laisser la gestion de son domaine à un homme. Mais Jeanne va leur tenir tête : désormais elle sera maîtresse de ses choix et de sa vie. Tandis qu'elle fait ses premiers pas de femme indépendante, une série d'événements la confronte brutalement à la réalité de son époque. Jeanne se rebelle alors contre l'ordre établi malgré les menaces et les répercussions sur ses enfants. La nièce de Montaigne ne va pas seulement affronter ses contemporains, elle va aussi défier l'autorité de l'Église catholique et celle du roi de France dans l'unique but d'offrir aux filles une éducation que l'époque leur refuse. 

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Aucune bondieuserie dans ce livre. Par contre, les démêlées d'une veuve aux prises avec une société qui cherche à la mâter. Et une plongée dans les guerres de religion qui ravagèrent la France en général, et le Bordelais en particulier. C'est dit, Eliane Viennot, scientifiquement juste, absolument féministe, et ça se dévore!

Le roman débute en 1589, dans le sud-ouest de la France, pendant les guerres de religion entre catholiques et protestants. Jeanne perd son époux le baron de Laudiras et se retrouve veuve encore jeune

Elle doit élever ses 2 jeunes enfants, Gabriel et Blanche et s'occuper de son domaine. Oui mais voilà, à cette époque, une veuve encore jeune se doit de se remarier.

Jeanne ne cède pas à la pression et se met en tête de gérer seule son domaine et pire que tout elle a pour projet de développer l'éducation des jeunes femmes de son domaine, s'attisant ainsi les foudres des nobles locaux. Les paysans eux-mêmes sont réticents à l'idée que leurs filles aient du savoir, car selon eux, cela rendrait leur mariage plus difficile.

Et pourtant l'école que Jeanne met en place marche bien, du moins au début et les jeunes filles sont très motivées.

Le roman suit le chemin de plusieurs personnages, bien sûr Jeanne, le personnage principal, mais aussi Adèle, jeune servante de Jeanne qui va s'enfuir afin de ne pas être mariée de force à un homme et qui va rencontrer une troupe de troubadouresses qui va l'accueillir ;

Gabriel, le fils de Jeanne qui va quitter la maison familiale pour « découvrir le monde » et Blanche, la fille de Jeanne, qui va être embrigadée par des ultra-catholiques.

Jeanne se tourne souvent vers son oncle qui n'est autre que le célèbre Montaigne, pour demander de l'aide ou des conseils. Elle est bientôt inquiétée par les autorités religieuses de l'époque qui voient d'un très mauvais œil cet affranchissement programmé des femmes.

Jeanne va s'opposer à ses enfants et à certains membres de sa famille, à l'Eglise, au roi de France (Henri IV) et même remettre en cause sa propre vie pour permette aux filles de recevoir une éducation, éducation qu'on ne juge pas nécessaire à l'époque, cette activité ne plaisant guère aux hommes de son entourage qui feront tout pour la déstabiliser...

« Jeanne a mal dormi cette nuit, la perspective de l'audition la tourmente.

Son coche s'immobilise devant les bâtiments impressionnants de l'archidiocèse. Jeanne est attendue. Elle est conduite par un prélat dans un dédale de couloirs. Les bureaux silencieux sont austères malgré les innombrables peintures religieuses et les tapisseries. Ils arrivent enfin devant une immense double porte en bois sculptée, la hauteur sous plafond de cette pièce est écrasante. Jeanne sent tout à coup la panique l'envahir. Le prélat ouvre la double porte, Jeanne entre et le silence se fait. La pièce ressemble à un amphithéâtre, ou une arène. L'assemblée disposée en demi-cercle sur plusieurs niveaux surplombe Jeanne, seule en contrebas. Elle identifie d'abord l'archevêque et sa suite : deux évêques et une dizaine de prêtres, ils sont au milieu, face à elle. Légèrement sur la droite, elle croise le regard cynique du sénéchal. Il représente la justice seigneuriale et il est accompagné de clercs et de juristes. Ils sont une vingtaine à regarder Jeanne, prêts à l'écouter et tout aussi prompts à pointer sur elle le doigt de la justice divine. Jeanne ne veut pas se laisser gagner par la peur, mais c'est plus fort qu'elle, elle doute. Et si cette classe de filles était contraire à la volonté de Dieu?

Sur un ton inquisiteur, le sénéchal prend la parole.

— Jeanne de Lestonnac, veuve du baron de Montferrand-Landiras, dites-nous pourquoi vous êtes ici aujourd'hui.

Jeanne est surprise qu'il soit le premier à l'interroger.

— L'éducation des filles fait débat, dit-elle sobrement.

- Ignorez-vous que c'est l'Eglise catholique qui a la charge de l'éducation? demande un évêque.

- L'Église catholique éduque brillamment nos garçons, quant aux couvents, ils n'éduquent que les femmes bien nées et fortunées... ce qui est déjà une grande chance mais... est-il logique que des femmes qui ont renoncé au monde avant de le connaître soient chargées de donner des principes à celles qui doivent y vivre ?

Si un des évêques approuve d'un hochement de tête, la plupart sont agacés.

— Le monde, vous, vous le connaissez bien, dit le sénéchal, l'œil lubrique, et vous n'avez aucune intention d'y renoncer. D'ailleurs, on peut s'interroger sur votre volonté de rester veuve. Une morale irréprochable n'est-elle pas au cœur de l'éducation?.

— Le mariage n'est pas le seul gage d'une morale irréprochable, chaque jour les hommes et les femmes d'Eglise prouvent leur honnêteté de mœurs grâce à la force puisée dans la prière, répond-elle.

— Pourquoi rester veuve? Vous ne semblez pas non plus encline à entrer dans les ordres, poursuit le sénéchal.

- Monsieur, dit-elle, agacée, l'éducation des femmes est un débat autrement plus important et urgent que mon veuvage.

— L'audition d'aujourd'hui ne porte pas sur l'éducation des femmes mais sur votre légitimité à les éduquer et surtout sur vos intentions à le faire, dit un des évêques.

Répondez, je vous prie.

Vincent est inquiet, Jeanne vient de contrarier une partie des religieux.

- Toutes les régentes du trône de France étaient veuves, dit-elle, elles ont gouverné avec bon sens, intelligence et selon la volonté de Dieu.

— Vous pensez donc être bien placée pour dispenser une éducation à des filles? demande un prêtre.

— Mon Père, Anne de France a éduqué Louise de Savoie qui a élevé sa fille, Marguerite de Navarre, qui elle-même a élevé Jeanne d'Albret mais aussi Catherine de Médicis.

- Venez-en au fait.

— Oui, pardon, je crois à la transmission entre femmes. En éduquant leurs filles, ces femmes ont nourri la puissance de la maison de France. Prenez l'exemple des Guise, qui n'ont plus à prouver leur fidélité à l'Église catholique, c'est une lignée de veuves, de mères en filles, qui ont fait la force de ce clan.

— Mais vous ne pouvez pas comparer les femmes de sang royal aux femmes du peuple, l'infériorité du sexe féminin ne leur permettrait pas d'apprendre, reprend l'évêque.

- Elles sont capables, s'indigne Jeanne. Dieu a créé la femme à partir du matériau le plus noble qui soit : l'homme. Comment pourrait-elle être débile alors que l'homme est si parfait ? L'infériorité féminine est un préjugé du même ordre que celui qui fait voir le Soleil tourner autour de la Terre. Les idées reçues qui véhiculent le mépris des femmes sont volontairement construites et régulièrement remises en circulation par ceux qui craignent de perdre leur emprise.

Jeanne dit cela en regardant le sénéchal.

— Vous semblez en colère contre les hommes, dit le sénéchal, essayant de provoquer un débordement chez Jeanne. Sont-ils vos ennemis?

— Oh non, répond Jeanne spontanément, j'admire les meilleurs et les plus intelligents car ils n'ont pas soif de domination sur les femmes.

Sa repartie fait sourire.

— Vous n'êtes ni reine, ni régente, reprend le sénéchal, en revanche vous êtes une femme.

Il se lève et brandit une feuille de papier.

— J'ai ici un extrait du Malleus maleficarum de Jean Bodin, poursuit-il. Jean Bodin, un théoricien politique, soucieux de la paix civile, opposé aux outrances religieuses, autrement dit un homme tout à fait respectable et reconnu. Je le cite : « Une femme doit être dominée par un homme sinon elle risque de se laisser séduire par le diable. » Qu'avez-vous à répondre à cela?

— Je ne peux me prévaloir de la grandeur des gouvernantes mais je dois répondre des instincts les plus vils qui sont prêtés aux femmes, n'est-ce pas?

L'assemblée est partagée, Vincent admire le courage et l'intelligence de Jeanne »

  

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