Fiche de lecture : Hélène Hernandez, Celles de 14.

Hélène Hernandez, Celles de 14 - La situation des femmes au temps de la grande boucherie - Éditions Libertaires - 2015.


Par Nicole Savey

Hélène Hernandez militante syndicaliste, anarchiste et féministe a décidé d’écrire cet ouvrage après les commémorations du centenaire de la guerre de 14-18 et « après n’avoir entendu…que des paroles relatant les exploits des hommes et la boucherie dont ils furent auteurs et ou victimes ». Pour parler « des grandes oubliées »de la « Grande guerre », Hélène Hernandez s’est appuyée sur près de 70 ouvrages et articles cités en fin de volume mais aussi sur les débats concernant  le sujet dans l’émission « Femmes Libres » qu’elle réalise avec Elisabeth Claude, sur Radio Libertaire (89.4 mhz), à la suite de Nelly Trumel qui a créé cette émission féministe. La liste de plus de 30 auteurEs, journalistes, militantES reçuEs de 1990 à 2015, figure à la fin du livre.
Hélène Hernandez a choisi de décrire les femmes dans leur réalité sociale et économique mais aussi dans leur engagement féministe, syndicaliste, politique et surtout pacifiste. L’originalité du livre est, de montrer avec l’éclairage anarchiste, les actions de refus de la guerre ou les femmes, les féministes surtout, se sont particulièrement illustrées. Sujet souvent oublié ou juste évoqué dans l’histoire de cette guerre mais dans les autres conflits également.

Les premiers chapitres sur la situation des femmes avant le début de la guerre montrent l’importance en France de l’emploi féminin, mais celui-ci est souvent peu visible, peu répertorié, en particulier dans les services domestiques ou les femmes sont très majoritaires (86,9%) et très exploitées. Et bien que les femmes commencent à travailler dans l’industrie et à exercer des professions libérales, elles gagnent en moyenne de 57 à 68% de moins que les hommes.

Cependant ce développement de l’emploi féminin favorise leur participation à la vie publique, dans les partis politiques comme la SFIO et les syndicats comme la CGT pourtant très misogynes, de la socialiste Louise Saumoneau (1875-1950) à la cégétiste Marie Guillot (1880-1934).

De plus, la loi de 1901 permet aux femmes de constituer des associations féministes et de créer et diffuser des journaux. Le Conseil National des Femmes Françaises (qui existe toujours) ou l’Union pour le Suffrage des Femmes représentée par Cécile Brunschvicg (1877-1946), première femme nommée au gouvernement en 1936, ont des milliers d’adhérentes dans toute la France et revendiquent le droit de vote que les Françaises n’ont pas obtenu de la République. Quant aux féministes socialistes comme l’institutrice Hélène Brion (1882-1962) ou la psychiatre Madeleine Pelletier (1874-1939), elles réclament « même » le droit à l’avortement et l’abolition de la prostitution.

Les journaux publiés par des femmes sont nombreux, l’un des plus féministes entièrement conçu, réalisé et diffusé par des femmes est « La Fronde », lancé par Marguerite Durand (1864-1936) qui a créé après la guerre une bibliothèque féministe qui existe encore aujourd’hui. Et Marie Guillot dirige le journal « L’école émancipée », novateur sur les méthodes d’enseignement.

A partir du déclenchement de la guerre fin juillet 14 et jusqu’en novembre 18, les femmes ont formé le « front de l’arrière », c’est à dire qu’elles ont permis à l’activité générale du pays non seulement de continuer mais de réaliser « l’effort de guerre ».
Elles remplacent les hommes et deviennent boulangères, conductrices de tramway, gardes champêtre, institutrices en classes de garçons. Dans l’agriculture, elles labourent, moissonnent et permettent de faire les récoltes.
Et surtout, elles travaillent dans les usines d’armements, ces « munitionnettes, tourneuses d’obus » qui « ne sont pas des femmes fragiles » comme le dit une chanson mise en musique par Vincent Scotto. Cependant cela ne crée pas une forte augmentation de l’emploi féminin (10 à 20%) plutôt un déplacement, les femmes quittent des emplois très mal payés, non réglementés pour des postes de travail plus stables et payés le double.

Dès 1915, Gabrielle Duchêne (1870-1954) crée à la CGT, le Comité contre l’exploitation des femmes au travail et les femmes n’ont pas hésité à déclencher des grèves : 100 en 1915, 300 en 1916 et 694 en 1917. Cette année, une des pires de la guerre qui dure, aux mutineries des soldats en février/ mars, répondent en mai, la grève des couturières puis celle des ouvrières de l’usine d’armement Citroën à Paris et celles des manutentionistes des arsenaux de Rennes et de Bordeaux.
Après avoir mis en valeur la résistance des femmes à l’exploitation  au travail, malgré les circonstances exceptionnelles du temps de guerre, Hélène Hernandez insiste sur la résistance à la guerre elle-même et développe les luttes pour le pacifisme ou l’action des femmes, surtout des féministes, est importante.

Dès le 30 juillet 14, l’institutrice socialiste et féministe Hélène Brion a publié dans le quotidien de la CGT, La bataille syndicaliste, un « Appel aux féministes, aux femmes, contre la guerre » « pour protester contre le crime qui se prépare ».

Avant la très connue réunion de l’Internationale Communiste à Zimmerwald (en Suisse) et le manifeste anti guerre rédigé par Léon Trostky en septembre 1915, les féministes allemandes ont manifesté contre la guerre à Berlin, le 18 mars. Puis le 26 mars, Clara Zetkin (1857-1933) féministe socialiste marxiste a organisé la conférence pacifiste de Berne, conférence à laquelle a assisté Louise Saumoneau qui a ensuite lancé un appel pacifiste aux « Femmes du prolétariat ». Enfin, à l’initiative du Woman’s  Peace Party internationaliste, s’est tenue à La Haye du 28 avril au 1er mai, une conférence internationale regroupant plus de 1000 femmes venues de 12 pays. Gabrielle Duchêne qui a créé à Paris, rue Fondary une section du WPP n’a eu que le droit d’envoyer un texte de soutien, néanmoins ce comité a été à l’origine de la Ligue Internationale des Femmes pour la Paix et la Liberté qui existe encore aujourd’hui.

En avril 1916, Marcelle Capy (1891-1962), journaliste libertaire et féministe fait paraître « Le manifeste d’une indignée : une voix de femme dans la mêlée » reprenant le titre de l’ouvrage pacifiste de Romain Rolland (1866-1944) publié en 1914, « Au-dessus de la mêlée ».

En juillet 1917, Hélène Brion, institutrice féministe est arrêtée pour propagande défaitiste mais elle utilise son procès en mars 1918, comme tribune pour défendre la cause des femmes.
Cependant, il faut préciser que les pacifistes sont minoritaires parmi les féministes. Les associations les plus importantes ont tout de suite soutenu « l’Union sacrée » et la défense de la patrie. D’ailleurs le courant pacifiste a été tenu en échec après 1918 ou commence la période de l’ « entre deux guerres » ! Mais le mouvement féministe est aussi en régression au lendemain de la guerre, surtout en France ou les femmes n’obtiennent même pas le droit de vote, refusé par le sénat.

En conclusion, Hélène Hernandez, comme Françoise Thébaud, historienne spécialiste de l’histoire des femmes dans son livre « Les femmes pendant la guerre de 14-18 », Payot 2013, se pose la question : la guerre a-t-elle été émancipatrice ? Sans doute moins qu’une vision rapide des changements dus à la guerre a pu le laisser supposer. En effet dès les années 20, la plupart des femmes perdent leur « emploi de guerre » et les lois de 1920 et 1923, réprimant l’avortement et la contraception les obligent à « l’impôt du sang »pour repeupler la France.
Néanmoins, les femmes ont gagné quelques droits sociaux dont celui de disposer de leur salaire sinon qu’il soit égal à celui des hommes, les institutrices étant l’exception et cela grâce à leurs luttes syndicales. Sans doute, les femmes ont elles gagné « la liberté d’allure et de mouvement, débarrassées des entraves du corset et des vêtements longs et encombrants »et le droit de faire du sport, comme l’héroïne du roman de Victor Margueritte, « La garçonne »paru avec succès en 1922.

Il faut ajouter que le livre d’Hélène Hernandez est illustré de photos et de textes, en particulier de chansons et de la référence à une pièce de théâtre écrite et mise en scène par Monique Surel en 2015, « Les guerrières de la Paix »sur les combats pour la paix des féministes 

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