2017 a t’elle été l’année des femmes ? Dans les médias, d’un certain point de vue, on peut dire qu’elle l’a été. Jamais autant d’émissions, chroniques, débats, n’auront été consacrés à la question du harcèlement sexuel qu’en cette fin d’année. Depuis la révélation de l’affaire Westein aux Etats Unis, France 2 a consacré une soirée à la question du harcèlement au travail (programmée avant), M6 a bouleversé la diffusion de sa célèbre émission « Incroyable Talent », l’émission Quotidien sur TMC a consacré deux émissions au harcèlement, France Inter a multiplié les thèmes du genre dans ses différentes émissions, et la question du harcèlement sexuel est devenue incontournable pour tout.e artiste en promotion.
Ce phénomène autrefois considéré comme la norme – autrement dit pas considéré – a donc été mis au jour comme jamais, ce qui est extrêmement important et réjouissant.
Et puis, il y a une semaine, « une autre parole s’est libérée », à travers la tribune du Monde. Même s’il est très tentant de hurler d’indignation à voir des femmes tenir de tels propos – cela est largement fait – sans doute serait-il plus intéressant de tenter d’en comprendre l’origine, tout en mettant en lumière leurs limites. Voici donc ce que j’ai compris des intentions des signataires :
Sortir les femmes du statut de victimes où #Meetoo veut les mettre.
En effet « victime » n’est pas un statut très glorieux. Personne n’a envie d’être considéré.e comme une éternelle victime ou comme une « petite chose à protéger ». Mais tout le monde peut, parfois, être victime de quelque chose. Si on m’arrache mon téléphone, je suis victime de vol. Si une voiture me renverse, je suis victime d’accident. Personne ne trouvera rien à redire là-dessus. Si l’on pose sa main sur ma cuisse sans mon consentement, je suis victime d’agression sexuelle. Dans chacun des cas, mieux vaut se reconnaître comme victime pour espérer obtenir réparation. Quelle différence entre ces trois exemples, sinon que le dernier touche en majorité les femmes ? Pourquoi le considérer différemment des deux autres, et soupçonner une intention cachée ? Accessoirement, victimes il n’y aurait pas s’il n’y avait pas d’agresseurs.
Protéger des hommes de dénonciations calomnieuses qui pourraient les détruire.
C’est très grave d’être détruit par une dénonciation calomnieuse, que l’on soit homme ou femme, et il faut absolument s’en prémunir. Cependant, le fait d’insister uniquement là-dessus induit l’idée qu’il vaut mieux se taire que de prendre le risque d’une dénonciation calomnieuse. Et donc qu’il est plus grave qu’un homme soit détruit par une dénonciation calomnieuse, plutôt qu’une femme soit détruite par une agression ou un harcèlement.
Dénoncer une haine des hommes, portée par « un certain féminisme ».
Tout le monde peut développer, individuellement, une haine des hommes ou d’un autre type de personnes (les femmes, les jeunes, les roux, les geeks, les gens avec une jambe de bois, que sais-je) et ce pour des raisons personnelles. Prôner une telle haine à un niveau collectif, comme dans une organisation féministe, pose un énorme problème, et si certaines le font on peut dire qu’elles font fausse route. Il y a beaucoup de colère dans #MeeToo, et plus encore dans #balancetonporc, dont l’intitulé en forme d’insulte fait aussi débat chez les féministes. Sans doute y a t’il une part de haine dans ces mouvements. En revanche, les taxer de haine des hommes, qu’est-ce sinon assimiler tout les hommes à des harceleurs ? Qui insulte les hommes ici ?
Sauvegarder la drague et la séduction, qui passeraient par une « liberté d’importuner ».
Comme l’explique très bien la blogueuse Emma, la séduction est une activité qui s’exerce à deux, et qui n’a rien à voir avec le fait d’importuner. Pourquoi la séduction est-elle considérée différemment des autres types d’interaction sociale, avec cette idée qu’il est soudain légitime d’envahir l’espace vital de l’autre, de l’importuner ? Pour prendre l’exemple de la rue, personne n’accepterait que quelqu’un l’aborde pour lui demander son chemin en disant « C’est où la rue Machin ? », ni bonjour ni merde. Dés lors, au nom de quoi une femme devrait trouver normal – et encore moins être contente – qu’on lui dise « Vous êtes très belle », ni bonjour ni merde ? Sinon au nom de l’idée que les femmes sont faites pour être à la disposition des hommes. Il y a mille manières de séduire sans importuner, beaucoup d’hommes le savent, et beaucoup de femmes savent qu’elles peuvent aussi séduire, heureusement.
Globalement, cette tribune reflète l’idée que les hommes sont plus importants que les femmes. Leurs agressions ne sont pas de leur faute, ils sont victimes de leurs pulsions ou en proie à une « misère sexuelle », et ne savent pas se contrôler – et bim, encore une insulte. Ils peuvent faire ce qu’ils veulent et c’est aux femmes de se débrouiller avec cet état de fait. En apprenant à réagir, en n’y prêtant pas attention (comme si ça se décidait), en y trouvant leur compte et, si agression il y a, en « ne se définissant pas comme victime ». Ce n’est vraiment pas simple de ne pas hurler son indignation.
Mais aucune avancée d’aucune sorte ne s’est jamais faite sans opposition. Même les propos avec lesquels on n’est absolument pas d’accord alimentent les discussions et peuvent faire naitre de nouvelles prises de conscience. On peut se réjouir que le sujet reste sur le devant de la scène et provoque des débats, car c’est par ces discussions que la question occupera toujours plus l’espace public et médiatique, et fera peut-être de 2018 la vraie année des femmes.
Aline Arnaud
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