Grêves de femmes … Femmes en GRRRRR … RÊVES


Grêves de femmes …
Femmes en GRRRRR … RÊVES

Par Nicole Savey - février 2017 
Auparavant, le travail agricole non salarié et les corporations (réunissant patrons et ouvriers) dans l’artisanat et le commerce empêchaient cette forme d’action, d’autant que grève et « coalition » (ou syndicat) étaient interdits par la loi, en France jusqu’en 1864 et 1884. Ce qui n’a pas empêché des grèves et un mouvement ouvrier de se développer, auquel quelques femmes ont participé comme les Saint Simoniennes ou Flora Tristan, prônant déjà l’union des luttes.
Mais la grande majorité des femmes en Europe et aux Etats Unis (même si certaines ont toujours eu un emploi salarié) assurait le travail domestique(donc non rémunéré) jusque vers 1840/50. Ensuite, avec la révolution industrielle, de plus en plus nombreuses d’abord dans les ateliers et les usines puis, au 20éme siècle dans les bureaux, les administrations, l’enseignement… Elles commencent à se syndiquer et à participer aux grèves avec les hommes. Voire même, elles initient des grèves, en particulier dans les industries du textile ou elles sont largement majoritaires et alors que leur situation est bien plus défavorable que celle des hommes. Leurs salaires sont bien inférieurs à ceux des hommes, elles sont souvent victimes de harcèlement sexuel et moins scolarisées que les hommes, ont plus de difficultés à accéder à des postes de responsables dans les syndicats. Les grèves de femmes sont généralement soutenues par les ouvriers (même s’ils cherchent parfois à en prendre la direction !) et déclenchent souvent des grèves générales (au moins dans une ville) qui peuvent durer des mois.
Pour ne citer que quelques exemples : en juin, juillet 1869 à Lyon, les ouvrières de la soie les « ovalistes » emmenées par Philomène Rozan ont déclenché une grève qui s’est étendue à 2000 ouvrièrEs et a fait l’admiration de Karl Marx. A New York, en septembre1909, les ouvrières du corsage (souvent récentes émigrées d’Europe centrale) ont commencé une action de plus de 3 mois qui a réuni 20 000 grévistes et a été soutenue par des femmes, syndicalistes comme Rose Schneiderman anarchistes, comme Emma Goldman mais aussi par les suffragistes qui voulaient mutualiser les luttes. A Paris en 1917, des milliers de « midinettes » (employées des maisons de couture) ont défilé courageusement alors que les manifestations étaient restreintes en raison de l’état de guerre et que certains journalistes parlaient de grève « en dentelles »! En 1936 en France, les femmes dont l’émancipation s’amorce bien qu’elles n’aient pas le droit de vote, ont participé nombreuses au mouvement de grève générale, ont occupé les usines et pris la parole dans les« meetings », comme en témoignent de nombreuses photos et a été reconnu comme un phénomène nouveau par journalistes et écrivains. Lire à ce propos ce qu’écrit la philosophe Simone Weil qui travaillait en usine à cette époque.
Après la seconde guerre mondiale, les françaises devenues citoyennes sont d’abord incitées à rester à la maison mais dans les années 60/70 elles entrent massivement sur le marché du travail salarié et le syndicalisme féminin se développe, quelques femmes accèdent au poste de secrétaires générales comme Jeannette Laot à la CFDT. Plusieurs grèves de femmes sont logiquement soutenues par les féministes du MLF (à ses débuts) politiquement engagées « à gauche » : en 1971, celle des ouvrières de la bonneterie à Troyes puis en 1973/74, celle des femmes de l’usine Lip à Palente (fabrique de montres à côté de Besançon) dont la grève de tous les employés est restée mémorable.
De plus en juin 1974, les féministes lancent à Paris la première « grève, grrrr..rêve des femmes », non seulement pour changer les conditions du travail salarié mais celles du travail domestique qui n’est pas reconnu comme tel et même pour « révolutionner » la condition féminine. Leur mot d’ordre se veut « mots de désordre » pour refuser « d’être des mamans ou des putains, des servantes ou des maîtresses, des bonniches ou des potiches, des vierges ou des épouses martyres » . Et pour « faire la grève de la reproduction plus que des services sexuels, comme la grève de ce qu’on a appelé notre « Nature » qui ne sert qu’à mieux nous asservir à la culture et au bon plaisir des hommes. »
En juin 1991, à l’initiative de féministes syndicalistes suisses, « mieux qu’un rêve, une grève » arrive à mobiliser pour l’égalité des droits, des milliers de femmes et d’hommes (qui solidaires, repassent le linge dans les rues !) dans presque toute la Confédération Helvétique. Patrons et hommes politiques étant obligés d’accepter ce mouvement subversif, les militantes ont dit aussi leur joie à rebaptiser les rues de noms de femmes et leur jouissance à coller des affiches sur le marbre des banques.
Depuis, les grèves des infirmières dans les années 1995 comme celles des femmes de ménage des grands hôtels ou des employées de supermarchés (très souvent « sans papiers ») dans les années 2010 et qui continuent aujourd’hui, n’ont pas seulement pour revendications les conditions de travail mais la reconnaissance d’un emploi qualifié et d’un statut social, sinon d’un droit au séjour. Ces grèves sont parfois soutenues par « l’opinion publique »dont les conditions de travail se dégradent et qui comprend parfois l’utilité de mutualiser les revendications face au néolibéralisme. Et c’est par solidarité politique que de nombreuses associations féministes s’engagent aux côtés des femmes grévistes, sans emploi ou sans papiers.
La grève en effet a un sens directement politique, en plus d’être la tentative et l’espoir d’une amélioration de la situation matérielle, professionnelle, par la lutte pour la justice, l’égalité et la dignité qu’elle implique, elle est éminemment émancipatrice, en particulier pour les femmes qui subissent la double oppression de classe et de sexe. C’est le sens de rêve, sinon d’utopie que lui donnent les féministes car la grève est souvent une rupture, une action novatrice parfois provocatrice, capable de susciter des évolutions personnelles et collectives profondes voire de déclencher des « révolutions ».
Peut être peut on dire, comme un rapport de police parisien en 1792 que les femmes sont « les boute feux de la Révolution ». D’ailleurs, la marche des femmes de Paris au bord de la famine, sur Versailles en octobre 1789, pour ramener « le boulanger, la boulangère » permet de mettre le roi et la reine sous le contrôle du « peuple » et est décisive pour la suite de la Révolution. De même, la grève des tisseuses de St Pétersbourg contre la famine, la guerre et le tsarisme en mars 1917, peut être considérée comme initiatrice de la première révolution russe. Et on peut voir également que les grèves des femmes dans les usines près du Caire et de Tunis dès 2010 ont été les prémisses des  « printemps arabes »de 2011.
De plus, comme l’écrivent en 1936, la philosophe Simone Weil (qui a volontairement travaillé en usine) : « oser enfin se redresser, se tenir debout. Indépendamment des revendications, cette grève est en elle-même une joie. » et la journaliste Henriette Nizan : « Cette grève a abattu trop de barrières et d’écrans. Les femmes vont craindre l’ennui et l’indigence des existences repliées. Elles ne renonceront pas à cette nouvelle richesse. »
Effectivement, des femmes ont toujours eu le courage de transgresser leur condition et de tenter de changer l’image et la place que la société patriarcale et raciste leur impose : de Mary Read et Ann Bonny au 18ème siècle, femmes pirates « plus féroces au combat que les hommes » aux suffragettes anglaises comme Emmeline Pankurst , en grève de la faim pour obtenir le droit de vote dans les années 1900 et à l’Egyptienne Houria Shadawi qui ose la première enlever son voile en public, en 1928. Solitude, la mulâtresse guadeloupéenne qui assume sa « négritude » au début du 19ème siècle, pionnière de la lutte contre l’esclavage et Angela Davis qui se bat pour les droits civils des Noirs aux Etats Unis dans les années70, transgressent les interdits de sociétés racistes particulièrement pour les femmes, et font la grève de l’intégration en quelque sorte. Enfin, le groupe LGBT Queer Pinkbloc de Montréal qui lance « la grève du Genre » en 2012 est il symbolique d’une évolution des sociétés occidentales qui vont vers la remise en cause de la plus fondamentale référence des civilisations : la différence sexuelle ?
D e grèves en rêves, les femmes veulent des droits et de réalités en utopies, les femmes luttent pour l’égalité et la liberté, c’est pourquoi le 8 mars, Journée Internationale des Femmes peut être une journée de « grève »contre toutes les valeurs misogynes de la société patriarcale et de lutte féministe pour qu’un « autre monde » soit possible.
Bibliographie
Françoise Thébaut , Histoire des Femmes (sous la direction de Michèle Perrot et Georges Duby)
XX éme siècle, Plon , 1992
Françoise Basch, Journal d’une gréviste, Payot, 1974
Collectif « La Griffonne », 1970-1981, 12 ans de femmes au quotidien, 1981
Ursula Gaillard et les collectifs romands, Mieux qu’un rêve, une grève : la grève des femmes en Suisse le 14 juin 1991, Editions d’en bas, 1991
Martine Laroche et Michèle Larrouy , Mouvements de Presse,  ARCL, 2009
Catherine Deudon, Un mouvement à soi , Syllepse, 2003

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